Dans un article récent, Dawes, Powell, et Munro (2011) ont examiné les conséquences des attentes de sujets malentendants en ce qui concerne leur perception de l’appareillage auditif et la satisfaction qu’ils en tirent.
Les effets placebo sont courants et très connus dans le monde médical. Ils tiennent une place essentielle dans la recherche médicale, puisque l’efficacité d’un médicament est défini par son efficacité supérieure à celle d’un placebo ou par son efficacité supérieure au médicament de référence.
On rappelle que l’effet placebo peut-être défini comme étant la réalisation d’un changement de la condition du malade entraîné par l’importance symbolique du traitement, à défaut d’une véritable action pharmacologique, physiologique voire physique et corporelle (Finniss, Kaptchuk, Miller, Benedetti, 2010).
Il semble que la personnalité du soignant et la conviction du thérapeute influencent la probabilité d’obtention de l’effet placebo. Une personnalité chaleureuse, amicale et compatissante augmente la conviction du patient à suivre le traitement et facilite la production de l’effet placebo (Bergmann, 2008).
Dans le domaine de l’audioprothèse, la notion d’effet placebo a été peu étudiée, elle ne fait l’objet que de 3 articles publiés à ce jour, tous rédigés par des équipes anglo-saxonnes.
Bentler et ses collègues (Bentler, Niebuhr, Johnson, & Flamme, 2003) ont montré qu’une aide auditive présentée comme « numérique » par l’audioprothésiste était beaucoup plus appréciée à l’usage par des sujets malentendants qu’une aide auditive présentée comme « conventionnelle », cette dernière étant pourtant elle aussi une prothèse numérique, mais de marque différente.
Bien que la mesure d’efficacité prothétique par audiométrie vocale ne montre pas de différences significatives entre les deux prothèses, les auteurs recueillent le ressenti des patients par le biais d’un questionnaire normé. Les auteurs estiment que le simple fait d’avoir caractérisé une aide comme « numérique » et pas l’autre amène jusqu’à 32% de variance dans le jugement du résultat. Sur les 40 sujets testés, 33 déclarèrent préférer l’aide numérique, sous couvert du caractère novateur de la technologie numérique.
Il faut savoir qu’à l’époque où cette étude a été menée, les aides auditives numériques venaient de sortir et étaient présentées par les industriels de l’audition comme une révolution.
Les auteurs concluent qu’il est important pour les chercheurs en audiologie d’utiliser des protocoles en double aveugle pour étudier l’intérêt d’une nouvelle technologie prothétique face à une autre.
Dawes, Powell, et Munro (2011) ont travaillé avec un groupe de 20 utilisateurs expérimentés d’aides auditives (13 hommes, 7 femmes, âgés de 54 à 80 ans) à qui ils ont demandé d’évaluer une « nouvelle » aide auditive face à une « conventionnelle ». Les deux aides auditives de type contour d’oreille étaient en fait identiques en tout point, seule la couleur de la coque les différenciait. Elles étaient programmées à l’identique, et ont été adaptées selon la même procédure à l’oreille du patient.
Contrairement à l’étude de Bentler (2003), le jugement des patients a été recueilli via plusieurs tests le jour de l’adaptation des appareils. Ces derniers n’ont pas été prêtés.
Trois tests, effectués en moins d’une heure, ont été retenu pour évaluer l’impression de performance des sujets : un test de compréhension de la parole en milieu bruyant, un jugement de la qualité sonore pour différents sons émis en cabine et enfin l’établissement d’une préférence (par opinion) ou non pour un des deux appareils et si oui lequel.
Pour le test dans le bruit, l’opérateur envoie des listes de phrases à 65 dB SPL, niveau de la voix moyenne, dans un brouhaha à 63 dB SPL. Chaque phrase est une phrase porteuse, « Pouvez-vous entendre X clairement ? », où X change à chaque phrase. Il demande au participant de répéter le mot clé X. Le participant doit alors cocher le mot qu’il pense avoir compris parmi 4 propositions (3 mots leurres et le mot clé). Un score d’intelligibilité est finalement calculé après passation d’une liste comportant 80 items.
Le participant à l’étude devait ensuite mettre une note comprise entre 1 et 10 pour évaluer successivement le confort et la clarté d’écoute de différents extraits sonores (morceaux de paroles, de musiques et de bruits environnementaux).
En moyenne, l’intelligibilité dans le bruit est de 62,3% (écart-type 10,4) avec le nouvel appareil et de 60,7% (écart-type 9,0) avec le conventionnel. Considéré l’échantillon et l’écart-type, cet écart d’intelligibilité est considéré comme statistiquement significatif par les auteurs, p = 0,03 au test de Wilcoxon.
Bien que les sonorités des deux appareils soient globalement notées de manière positive, les notes obtenues avec l’aide « nouvelle » sont systématiquement supérieures aux notes attribuées pour la « conventionnelle ». Pour les auteurs, les différences observées à l’avantage de l’aide « nouvelle » sont statistiquement significatives, p < 0,01.
Le recueil de la préférence des sujets pour l’une des deux solutions est tel :15 des 20 sujets préféraient la « nouvelle » aide auditive, 5 ne savaient pas dire qu’elles étaient la ou les différences entre les deux, et aucun sujet préférait l’aide « conventionnelle ». Encore une fois, l’hypothèse soumise au test statistique montre que la différence est significative, p = 0,02.
Les auteurs concluent que les mesures d’efficacité prothétique sont influencées par les attentes du patient dans le cadre de son appareillage auditif ainsi que par les espoirs du sujet malentendant dans le cadre d’un projet de recherche en audiologie. Ils mettent en avant la nécessité de contrôler l’effet placebo dans ces deux situations.
Hopkins (2012), afin d’établir un poster scientifique sur la question de l’effet placebo en audioprothèse, a ré-utilisé tout le protocole déployé dans l’étude de Dawes, Powell et Munro (2011). La seule différence étant le nombre de sujets testés, passant de 20 à 16 pour ce projet. Hopkins a trouvé que 75% des participants ont exprimé une préférence globale pour « le nouvel » appareil auditif. Cette valeur est similaire à celle déterminée par Dawes et al. L’auteur conclu que l’effet placebo impacte fortement l’appréciation de l’utilisateur lors de l’essai d’une prothèse auditive.
EN CONCLUSION :
Lorsqu’ils pensent être appareillés par une prothèse auditive « récente », les malentendants se déclarent plus satisfaits qu’avec une prothèse présentée comme « conventionnelle » par l’audioprothésiste mais qui, dans les faits, est pourtant identique à la première.
Cette préférence pour l’appareil le plus désirable est fortement marquée dans chacune des trois études détaillées ci-avant : 82,5% des sujets testés par Bentler (2003) préfèrent une aide « numérique » à une aide « conventionnelle » et 75% des sujets testés par Dawes, Powell, et Munro (2011) ainsi que par Hopkins (2012) préfèrent une aide « nouvelle » à une aide « conventionnelle ».
On peut se demander combien de temps certains effets placebo peuvent durer, mais aucun travail de recherche n’a été proposé sur ce thème en audioprothèse. Bentler (2003) a mesuré la préférence pour l’une ou l’autre des prothèses au bout d’un mois d’utilisation dans des conditions réelles d’utilisation, tandis que Dawes, Powell, et Munro (2011) et Hopkins (2012) l’ont mesuré dans des conditions de laboratoire universitaire, sans mise à l’essai du matériel.
L’avis des malentendants étant ce qu’il est, il est étonnant de constater qu’à matériel et réglages identiques, Dawes, Powell, et Munro (2011) mesurent de meilleures performances objectives pour l’appareillage auditif présenté comme « nouveau » : l’intelligibilité dans le bruit est significativement meilleure qu’avec l’aide « conventionnelle » et la qualité sonore y est plus appréciée. En croyant porter une aide auditive « high tech », les patients ont obtenus de meilleurs scores au moment de tester l’appareillage auditif en cabine !
On peut donc penser que l’état d’esprit du patient vis-à-vis de sa démarche d’appareillage a une influence significative sur le ressenti et la satisfaction qu’il en tire. Cela montre que l’adhésion au projet d’appareillage, la bonne entente avec l’audioprothésiste et la bonne compréhension des enjeux d’une prise en charge non-tardive par l’audioprothésiste peuvent améliorer la satisfaction du patient. Vice-versa : un patient réfractaire, qui trouve toute solution prothétique inconvenante, qui n’accepte pas les limites etc… a plus de risques d’être déçu de son équipement auditif.
Le patient est influençable par de nombreux facteurs. Au-delà des effets positifs que suscite la croyance en l’avancée technologique des appareils auditifs sur les attentes du patient, le discours explicatif et l’expérience émotionnelle vécue par le patient auprès du médecin ORL puis de l’audioprothésiste sont des éléments importants pour le motiver et le décider. Kochkin et al. (2010) a montré que le nombre de patients satisfaits de leur appareillage augmentait quand l’audioprothésiste s’investissait dans des mesures audioprothétiques variées (administration de questionnaires normés, mesures en cabine, mesures in-vivo…), quand bien même elles ne modifiaient pas les réglages des aides auditives. Il mesure même que plus l’audioprothésiste commente de manière positive le résultat d’un test prothétique, plus le patient adhère à cette vision positive de l’appareillage et le trouve performant.
L’amélioration d’intelligibilité dans le bruit mesurée grâce à la croyance du patient en le port d’une prothèse « nouvelle » face à la prothèse « conventionnelle » est faible (62,3% contre 60,7%, soit environ 2%) mais peut être réelle. Elle est en tout cas statistiquement significative. Cette amélioration de la compréhension étant mesurée en laboratoire, elle ne reflète peut-être pas la performance obtenue dans les conditions de vie réelle des patients. Il faut garder à l’esprit qu’il y a toujours une fierté chez l’audioprothésiste en obtenant la moindre petite amélioration de la compréhension de la parole dans le bruit pour un de ses patients, tellement il est compliqué et important pour ceux-là de la maximiser.
BIBLIOGRAPHIE :
Le Monde. Vous souffrez ? Prenez donc un placebo… cher. 6 Mars 2008. Jean-François Bergmann.
Finniss DG, Kaptchuk TJ, Miller F, Benedetti F (2010) Biological, clinical, and ethical advances of placebo effects. Lancet 375: 686–695. doi: 10.1016/S0140-6736(09)61706-2.
Dawes P, Powell S, Munro KJ. (2011) The Placebo Effect and the Influence of Participant Expectation on Hearing Aid Trials. Ear & Hearing 32(6):767-774.
Bentler, R.A., Niebuhr, D.P., Johnson, T.A., & Flamme, G.A. (2003). Impact of digital labeling on outcome measures. Ear and Hearing, 24(3), 215-224
Hopkins R. (2012) Reliability of Placebo Effects In Hearing Aid Trials. British Academy of Audiology (BAA) Poster #24, Manchester, England.
Kochkin S, Beck DL, Christensen LA, Compton-Conley C, Fligor BJ, Kricos PB, … & Turner R. (2010). MarkeTrak VIII: The impact of the hearing healthcare professional on hearing aid user success. Hearing Review, 17(4), 12-34.
L’effet placébo se traduit par un réel effet statistique sur la compréhension et c’est bien la difficulté lors de nos tests quand on cherche des « petites » différences.
Dans le calme en vocal ou en tonal il est -relativement- facile de démontrer une différence et un gain de l’ace. En revanche sur des pertes très localisées et légères ou pour des mesures dans le bruit, l’attention et la motivation du sujet peuvent anéantir la petite différence de gain. Chez les personnes très agées parfois on est confronté à cette même difficulté où il faut pousser le patient à faire un effort pour répéter les mots même s’ils sont difficile à comprendre.
Bref, il me semble que la mesure du gain in vivo reste primordiale dans le réglage et la mesure du gain en audiométrie doit toujours être pondérée par l’analyse des commentaires de la personne et de son entourage.
Enfin, il est difficile avec cet effet placebo d’opter pour la bonne conduite à tenir : plus on est convaincant meilleur sera le résultat à court terme mais plus on passer pour un « commercial » et plus la déception peut apparaitre à moyen terme. Il conviendrait de doser son discours tout en étant démonstratif et pédagogue sur les moyens employés.