Mais dans quel monde on vit ?

Bon, Jean-Yves prend un peu de repos, j’en profite donc pour ramener ma science !

Encore que là, je vais nous faire spectateurs plutôt qu’autre chose. La question du jour est : « Dans quels rapports signal/bruit vivons-nous ? Et quelle est la prise de décision des fabricants en fonction de la réponse à cette première question ? »

Vous avez 4 heures…

On attaque fort à la rentrée !

Mais il est certain que l’habitant de Malbosc ne décrira pas la même problématique que celui de Thiais en ce qui concerne le rapport signal/bruit du quotidien, encore que, les bruits du quotidien domestiques semblent être les plus récurrents et les plus « incompressibles ».

Pas besoin d’être Grand Clerc pour deviner cela, mais nous allons tenter mieux dans l’investigation : il y a quelques temps était sortie une série d’articles très intéressants sur le sujet, peut-être pas assez mis en avant à mon goût.

En 2015, Smeds, Wolters et Rung ont équipé d’enregistreurs 20 malentendants satisfaits de leurs appareillages auditifs, en leur demandant de procéder à des enregistrements de situations sonores diverses. Ils ont récupéré au total 84 minutes d’enregistrement par personne pour une moyenne de 17 scènes auditives par personne.

Ces données ont été analysées afin de les catégoriser (type de bruit) et d’en extraire le rapport signal/bruit à l’aide d’un algorithme choisi parmi plusieurs.

Le but de tout cela, on l’aura compris, est de connaître avec le plus de précision possible l’ambiance sonore habituelle et réaliste d’un malentendant appareillé. Et au final, d’aider au développement de futures aides auditives adaptées à ces rapports signal/bruit « réalistes » et non pas « supposés ».

Je mets en avant un extrait d’un de ces articles (Sébastien ira en prison par ma faute…) :

Estimation of signal-to-noise ratios in realistic sound scenarios. Supplement: Additional results Karolina Smeds, Florian Wolters, Martin Rung. JAAA, 2015 – 26 – 2.

Bon tout d’abord, contrairement à des croyances (peut-être) répandues :

  • les malentendants appareillés, comme tout le monde, s’arrangent certainement pour ne pas s’exposer à des RSB négatifs. Et s’ils le font, c’est totalement subi (la voiture).
  • Deuxièmement, le silence… n’existe pas (sauf à Malbosc ?) : une ambiance calme, c’est +/- 15dB de RSB.
  • Ensuite on pourra voir également qu’une situation de cocktail party, c’est +2 à +3dB de RSB, et pas -5dB.
  • Donc nous vivons (en tout cas, eux, ils vivent) à +2/+5dB de RSB dans des situations qui sont estimées bruyantes.

Vous pourrez en lire plus dans ces articles (, et ), c’est très intéressant.

Bien, bien, bien… Et alors, que font les fabricants, éventuellement sur la base de ces données ?

A partir de quand commencent-ils à activer leurs algorithmes ? Quand arrêtent-ils de les activer ? Et pour quel type de bruit ? Le bruit de « babble » est-il traité de la même manière que celui de la voiture ?

Vous avez des réponses ? Pas moi. Pas nous. Nous sommes censés les adapter pourtant ces appareils, argumenter, conseiller telle ou telle technologie en fonction du patient en face de nous. Mais que sait-on réellement de ces boîtes noires ? Peu de choses.

Il m’a semblé intéressant donc de constater, par un état des lieux pas très exhaustif, certes, mais qui vaut ce qu’il vaut : 5 modèles « haut-de-gamme » de 2019, de 5 fabricants différents ont été testés pour voir à quels niveaux de RSB les fabricants « prenaient une décision ».

Le but n’est pas de comparer le RSB à la sortie de l’aide auditive (encore que je vous connais 😉 ), mais d’essayer de discerner une stratégie d’action face au RSB d’entrée : à partir de quand agissent-ils, ou n’agissent-ils plus ?

Les modèles testés** :

  • STARKEY Livio AI 2400 BTE
  • PHONAK Marvel 90 R
  • WIDEX Evoke F2 440 RIC
  • BERNAFON Viron 9 MNR
  • SIGNIA Styletto 7 Nx

Pas mal non ?

ATTENTION : grand fou de lecteur à l’esprit mal placé, l’ordre des appareils ci-dessus ne correspond PAS à l’ordre du graphique plus bas. J’ai randomisé les modèles qui s’appellent donc arbitrairement « Modèle A »… « Modèle E ». Voilà, comme ça, pas de pub ni de dénigrement d’ailleurs.

Là, on voit que des choix… radicaux peuvent être faits :

  • une aide auditive, tout d’abord ça fonctionne très très bien dans le bruit aujourd’hui (pour la plupart) : 7dB d’amélioration du RSB à 0dB en entrée, c’est tout de même beau.
  • Certains font le choix de maintenir permanente l’action des algorithmes (E et B), jusqu’à des niveaux de RSB élevés,
  • D’autres, à partir de +5dB, commencent à désactiver les algorithmes (A et C)
  • Le fabricant D… que dire… prend le pari (réaliste peut-être) de n’intervenir qu’en dessous de 0dB de RSB. Nous avons vu dans l’article que cette situation était très rare cependant.

Donc en conclusion, les fabricants connaissent les RSB réalistes que rencontrent les malentendants appareillés. Ils agissent en conséquence, d’autant que le bruit utilisé pour ces mesures est un bruit « difficile », de type cocktail-party***. Quelques fabricants prolongent loin dans le positif leur action, d’autres estiment qu’à +10dB, on approche d’un silence relatif.

Nous est-il possible d’agir sur ce nouveau « point d’enclenchement » du RSB de sortie ? je ne pense pas, à moins qu’un réglage peu explicite le permette. Est-on informé de ces choix ? non, comme d’habitude !

Pour finir de conclure : ces RSB sont-ils au final « réalistes » comme le suggère l’article ? pas sûr. En effet, il n’est pas à exclure que les malentendants appareillés (même ceux satisfaits), évitent plus que les normo-entendants les RSB adverses. Ce qui est réaliste pour un malentendant appareillé ne l’est peut-être pas pour quelqu’un avec une bonne audition. Bon, je chipote…

A plus pour de nouvelles aventures !

*Y’avait pas de petite étoile toute seule, vous ne suivez pas !

** Je remercie ici mes généreux « dealers » de ces modèles divers qui n’hésitent pas, au prix de tous les dangers, à me fournir cette bonne came quand je n’en dispose pas ! Merci à ces trois mousquetaires !

*** Une nouvelle procédure de test est mise en place de mon côté : matériel d’acquisition plus performant (micros, cartes d’acquisition, etc.) et conditions d’enregistrements plus personnalisées. Le cher prix de l’indépendance 😉

Auteur : xavdelerce

Audioprothésiste D.E. membre de la SFA, membre du CNA, créateur du https://leblogaudiologie.com/

5 réflexions sur « Mais dans quel monde on vit ? »

    1. Tous les algorithmes (RB, micros directionnels, détection de la parole, etc.) restent activés selon les préconisations de base (càd ni plus, ni moins).
      Le protocole est (forcément) artificiel, dans le sens où tout doit être contrôlé (le RSB, le niveau, les angles d’émission) : donc il s’agit d’une condition qualifiée d’optimale. Mais qui peut le plus, peut le moins, ça reste le postulat.

  1. Seulement quand on est face à un audioprothésiste on ne peut pas choisir son modèle. Et tous les réglages se font dans une pièce silencieuse sans aucun repére sonore.
    Avant on avait plusieurs profils disponibles sur sa prothèse. Aujourd’hui on nous dit plus besoin de ça tout s’adapte à l’environnement sonore. Tu parles…
    Les fabricants de prothèses oublient juste qu’une oreille est un organe vivant dont les caractéristiques changent en fonction de la pression de l’humidité de l’air l’état de santé….
    À quand une prothèse qui ouvre les réglages aux utilisateurs (au moins à ceux avertis s’il le souhaitent)?

  2. Xavier,

    J’allais sortir de ma tanière dans laquelle je me reposais, quand j’ai lu cet article.
    Maman, que c’est beau !

    J’apprends toujours quelque chose avec toi : « une situation de cocktail party, c’est +2 à +3dB de RSB, et pas -5dB » / L’appareil du fabricant D que tu as testé, très performant sur le papier, ne semble pas être à conseiller et pourtant il m’arrive sûrement de le promouvoir.

    Par contre tu ne m’apprends pas que les fabricants nous laissent dans l’ignorance.
    Ca fait, à la louche, 20 ans que je leur dis. A l’époque je me battais pour connaître : fréquence d’échantillonnage de la conversion A/D, type de conversion A/D, nombre de digit caractérisant une grandeur numérique pour ce qui est de l’information numérique, fréquence d’horloge du microprocesseur.
    Peut-être considèrent-ils que l’on n’a pas le « niveau » pour comprendre !
    Mais comme toi tu l’as, ils devraient t’expliquer, ensuite tu nous en délivrerais la « substantifique moelle ».

    Merci
    Jean-Yves

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