60 millions de consommateurs, 5 millions de malentendants et …. 15 « panélistes » ! ou comment passer à coté d’une enquête utile.

Ce n’est peut-être pas le lieu pour poster ce billet mais comme un individu seul ne peut facilement obtenir un droit de réponse, j’utilise l’espace disponible.

Ce n’est peut-être pas le lieu pour poster ce billet mais comme un individu seul ne peut facilement obtenir un droit de réponse, j’utilise l’espace disponible.

A l’heure ou les sondages d’opinions, encadrés par la loi et des normes statistiques sont confrontés à une polémique sur leur validité,
on peut s’interroger sur la rigueur des enquêtes journalistiques à base de « clients mystères ».
A vouloir être mystérieux on oublie peut être de se renseigner avant de construire l’enquête et on oublie de poser les bonnes questions par rapport au coût.

Suivie de près par une émission sur France Inter où le seul invité « audioprothésiste » n’est pas en exercice… l’article de Que Choisir m’a un peu fait réagir.
Il est étonnant de constater la coïncidence avec laquelle ce sujet est abordé par les médias lorsque SantéClair ou Afflelou s’y intéressent.

Il convient de critiquer la méthodologie puis de débattre du fond.

Représentativité de l’enquête :
S’il est vrai qu’il existe 3 types d’exercice de la profession la classification des enseignes dans l’article est erronée :
– les audioprothésistes salariés d’un groupe succursaliste : Audika, Amplifon, Optical Center, Audition mutualiste
– les audioprothésistes indépendants sous enseigne commune : Entendre, Dyapason, Audio 2000 mais aussi Audition Conseil, Audition Santé
– les audioprothésistes indépendants sous leur propre enseigne

On constate déjà que l’enquête a oublié Audition Conseil (300 sites) et Audition Santé (400 sites, moitié succursalistes et moitié indépendants sous enseigne)
L’enquête portait donc sur l’ensemble des audioprothésistes mais en oublie deux acteurs majeurs et fait le classement de 8 enseignes.


sources : capture d’écran des enseignes.

Constituée de 40 enquêteurs, 160 points de ventes sont visités mais 15 personnes se feront réellement appareiller, et au final « notre expert, lui a été plus sévère. […] c’est pourquoi les appréciations parfois très positives ont été modérées […] ».
Ce qui signifie que les points de ventes ont été testés sur les devis en moyenne 20 fois mais qu’ils n’ont été testés sur le travail d’adaptation prothétique et de suivi moins de deux fois par enseigne !
Autant les succursalistes peuvent avoir des pratiques proches car issues de décisions centralisées autant les réseaux d’indépendants sous enseignes et plus encore les indépendants sont directement dépendant de leur gérant.
De ce fait juger « les indépendants » avec au mieux 3 appareillages parait complètement absurde.

Qui est l’expert ? De quel droit et sur quel base peut-il être plus sévère que les 15 (seulement) enquêteurs réellement appareillés ? Est-il exempt de tout conflit d’intérêt ?

Qui a payé les appareils auditifs ?

Bref autant de questions qui relativisent la validité de l' »enquête ».

Critères étudiés :
Quel est le travail de l’audioprothésiste ? Aider au choix de l’aide auditive, faire et valider les réglages, accompagner le patient dans l’accoutumance et faire le suivi dans le long terme (audiométries, entretien, réglages et petites réparations).
Sur quoi à porté l’enquête ? La qualité de réalisation du devis pour 160 devis (75% de la note) et pour 15 patients seulement une prestation partielle car sans le suivi dans le temps (25% de la note).

C’est un peu comme si on faisait un guide de tous les restaurants en notant pour 75% la présentation de la carte sur 160 d’entre eux et pour 25% le service (sur 15 d’entre eux) mais jamais la qualité des plats..

Enquête (?) sur les prix :
Les chiffres fournis sont ceux de SantéClair (concurrent de la mutualité et ne pouvant absolument pas être qualifié de neutre dans ce débat) et non les devis de l’enquête…. or SantéClair revendique des prix 40% plus bas et adresse ses assurés chez … Optical Center…
Que doit-on croire ?
Pourquoi ne pas demander les chiffres réels de vente (et non les devis) à l’assurance maladie ?

On cite 60% de marge brute ; est-ce vérifié ? qu’est-ce que cela signifie ?

Comment est utilisée cette marge ? Quel est la part nécessaire à la formation des professionnels dans un métiers qui évolue très rapidement ? Quel est la part de la publicité dans un secteur sous forte pression concurrentielle ? Quels sont les investissements matériels nécessaires pour utiliser des techniques rapidement changeantes ? Que reste-t-il de bénéfice ?

C’est cette répartition qu’il faudrait discuter et mettre en perspective avec d’autres domaines de la santé  : les médicaments, les analyses de laboratoires, le matériel médical divers et varié mais aussi d’autres secteurs : les produits vendus en l’état  comme les vêtements; l’informatique, la grand distribution… les produits de premieres nécessité (l’eau, l’électricité, les transports…) et surtout les services : soignants, conseils, juristes, comptables, architecte,  et bien sûr assurances qui viennent nous proposer de baisser nos prix. Allianz par exemple qui a mis en place avec MAAF la structure « SantéClair ».

Résultat opérationnel Allianz

http://www.allianz.fr/pdf/18/plaquette_allianz.pdf

Quelques bonnes observations tout de même :
« Les panélistes se sont déclarés plutôt satisfaits du travail et du suivi effectués par les audioprothésistes. […] notre expert, lui a été plus sévère. […] c’est pourquoi les appréciations parfois très positives ont été modérées […] »

« les prix sont peu ou prou comparables et parfois bien supérieurs, notamment pour le haut de gamme en Allemagne, au Royaume-Uni, en Espagne, en Italie, ou en Suède […] en revanche la somme restant après remboursement peut s’avérer faible voir nulle […] »

Voila encore une bonne question : le remboursement.

« les points de vente Optical Center consentent à des ristournes de … 1500€ en moyenne. Vous pensez faire une bonne affaire ? Pas tant que ça. »

« Le suivi » est important.

Les bonnes questions qu’il aurait aussi fallu se poser :

  • Combien d’audioprothésistes utilisent des méthodes de réglages objectives contrôlées et combien se contentent du préréglage des fabricants ?
  • Combien d’audiogrammes, de réglages, de conseils, de mesures de validation des réglages, de nettoyage et remplacement (gratuits) de petites pièces pendant la période de suivi  ?
  • Combien d’années de suivi ?
    En ne cessant d’affirmer sans preuve une durée de vie moyenne (!) de 4-5 ans on favorise le renouvellement abusif de professionnels peu scrupuleux.
    En réalité la durée de vie est nettement supérieure. Par exemple, en ce qui me concerne, je suis des appareils pendant plus de dix ans, la durée moyenne s’élevant à plus de 8 ans. Le forfait de prestation n’est ainsi plus du tout aussi « cher » que si on paye cette somme (et l’appareil) tous les 4 ans…
  • Quel est le véritable intérêt pour les assureurs de créer des partenariats ?
    En optique la « négociation » porte sur un « flux de clients potentiels » apportés par l’assureur en échange d’une baisse du prix pour l’assuré du réseau (au détriment des autres car il faudra bien équilibrer l’ensemble) et pourquoi pas d’une rémunération de l’assureur ainsi remercié d’apporter ce flux… Outre le fait que le client perd le choix du prestataire, il devient lui même une valeur qui s’échange… un actif objet d’une transaction…
    lire à cet égard ce qui se passe en optique : http://opticien-presse.com/news/news_details.php?rubnewsid=3185

Conclusion :
Comme toute profession libérale/prestataire de service, le prix de la prestation dépend beaucoup de la qualité du professionnel.
Iriez-vous comparer des médecins ou des avocats au mieux sur leur façon de faire un devis au pire sur leur tarif uniquement ?
Le prix doit être mis en rapport avec les méthodes de travail (et non seulement de devis) et la qualité et durée du suivi (à long terme).

Conseil si vous êtes audioprothésiste :
Ne vous ridiculisez pas à facturer des appareils très chers et des prestations à 1€ , cela signifie que vous ne servez à rien et que l’appareil est vendu en l’état.
N’ayez crainte de mettre en avant votre prestation, calculez votre tarif en fonction de la qualité de votre travail et continuez à vous améliorer.

Conseil si vous devez vous équiper :
Multiplier les devis, pourquoi pas, mais vous n’aurez une idée que d’un élément : le prix.

Méfiez vous des offres alléchantes,  le suivi étant vendu par avance, qu’est-ce qui vous garantit que dans 6 ans le professionnel choisi sera toujours en mesure de vous proposer des rendez-vous de qualité gratuitement comme la loi l’y oblige ? Ne préfèrera-t-il pas vous pousser à remplacer votre aide auditive dans 4 ans ?

Rappelez-vous que vous achetez aussi un service et que si celui-ci ne vous convient pas vous ne pourrez pas aller facilement voir un autre audioprothésiste pour les réglages !

Ne suivez pas la publicité et renseignez-vous, prenez des avis auprès des médecins, des associations de malentendants, de vos amis déjà appareillés…

Brice Jantzem,
audioprothésiste indépendant sous enseigne coopérative.

Ce billet n’engage que son auteur qui s’exprime uniquement en son nom propre.