L’attention auditive en audioprothèse

Tu entendais, sans écouter la télévision en consultant ton portable… tu ne te rappelles pas de la demande de ta copine de ranger la vaisselle… Ou encore toi, qui t’es toujours posé la question de pourquoi tu as autant de mal à faire plusieurs choses en même temps…

Et bien l’attention, en particulier auditive entre en oeuvre et son manquement explique les difficultés de perception et de mémorisation que tu as rencontré ou que tes patients malentendants ont perçu !

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L’attention est souvent confondue avec la mémoire. Quand on fait attention à un stimulus auditif (ou autres), on le place automatiquement en mémoire de travail. C’est le lien entre hippocampe et amygdale.

Mais qu’est ce que l’attention ?

On pense par erreur que l’attention auditive est un processus cognitif unitaire. Et bien, on a tout faux ! L’attention s’appuie sur plusieurs processus entrelacés les uns aux autres.

Les chercheurs en neuroscience ont découvert que l’attention n’est pas un seul processus, mais plutôt un groupe de sous-processus attentionnels. La modélisation la plus solide pour décrire les sous-composantes de l’attention est le modèle hiérarchique de Sohlberg et Mateer (1987, 1989).

IL existe plusieurs sous composantes :

  • Eveil : fait référence à notre niveau de vigilance, que nous soyons fatigués ou sous stressés.
  • Attention ciblée : fait référence à notre capacité à concentrer notre attention sur un stimulus.
  • Attention soutenue : La capacité de s’occuper d’un stimulus ou d’une activité sur une longue période de temps.
  • Attention sélective : La capacité de s’occuper d’un stimulus ou d’une activité spécifique en présence d’autres stimuli distrayants (effet cocktail party)
  • Attention alternée : La capacité de changer l’attention de mise au point entre deux stimuli ou plus.
  • Attention divisée : La capacité d’assister à différents stimuli ou attention en même temps.

évidemment, quand on veut définir un terme, on consulte son Wikipédia let voici sa réponse :

L’attention est la faculté de l’esprit de se consacrer à un objet : d’utiliser ses capacités à l’observation, l’étude, le jugement d’une chose quelle qu’elle soit, ou encore à la pratique d’une action.

La pleine attention est exclusive, du fait qu’on ne peut réellement porter son attention que sur un seul objet à la fois, même si on peut parfois avoir le sentiment inverse (en cas de danger nécessitant une hypervigilance et/ou si l’un de ces objets ne requiert pas d’attention)

Le cerveau filtre et va porter attention de plusieurs façon en fonction :

  • de l’intérêt porté au stimuli.
  • l’effort de décodage
  • la réduction de l’ambiguïté de la situation qui accentue l’effort attentionnel

La question qui vous brûle les lèvres, l’attention est un processus souhaité ou inconscient ?

Certes les deux définitions précédentes renvoient l’attention à un événement souhaité, mais imaginez-vous dans un bureau sans un bruit quand tout à coup votre collègue au téléphone raconte à un de ses amis comment s’est déroulée sa soirée. Vous savez maintenant qu’il a adoré ce nouveau restaurant malgré les prix un peu élevés. Mais avez-vous choisi de prêter attention à ces informations ou ces informations vous sont-elles parvenues de manière involontaire ?

Et c’est en ça que s’accordent nombre de chercheurs en sciences cognitives. En effet, on ne choisit pas forcément le stimulus auquel on porte immédiatement attention.

Et c’est maintenant que vous comprenez l’intérêt de mon écrit et qui va vous retourné le cerveau : mon patient appareillé qui se plaint de ne pas comprendre dans le bruit avec ses aides auditives de dernières générations a-t-il ou n’a-t-il pas un problème attentionnel qui altère sa compréhension dans le bruit (avec réduction de la ségrégation en signal utile ou non utile) ou a-t-il un un soucis d’audition qui l’empêche de porter attention ^^?

On parle souvent de RSB, mais finalement ce qui est un bruit pour l’un, ne l’ai pas pour l’autre !

Vous avez dit Cocktail Party ?

En 1953, Colin Cherry, a étudié notre capacité à porter attention dans le bruit (au passage il faut imaginer que ce phénomène purement auditif a permis d’éclairer la façon dont le cerveau isole un stimulus parmi les stimuli).

Cherry a étudié la capacité du cerveau humain et a utilisé des tests dichotiques pour tester ses sujets d’étude, au lieu d’utiliser des tests de compréhension dans le bruit.

L’attention portée à une oreille entraîne un meilleur encodage des messages qui lui parviennent car nos ressources attentionnelles vont sélectionner l’information qui nous est pertinente et essayer d’inhiber au mieux ceux qui ne nous intéressent pas.

L'effet cocktail | Cerveau & Psycho

Alors l’attention, on la contrôle ou pas ?

Oui et non, mon capitaine. L’attention est multifactorielle :

La sélection du stimuli d’intérêt (qui est le S (signal), qui est le B (bruit) ) :

Nous sommes continuellement exposés à un flux de stimuli que nous ne pouvons pas contrôler. Pour éviter de surcharger la mémoire de travail, les ressources attentionnelles vont filtrer les informations de notre environnement. Et prendre celles qui nous sont pertinentes (l’effet Cocktail party). On parlera ainsi d’attention sélective.

La distribution (Quand on a 2 S) :

« Mais bien sûr que je peux travailler et écouter de la musique en même temps ! Je suis pas un naze ! »

Vous n’avez jamais essayé ? Et bien c’est l’occasion. Dans ce cas de figure, les ressources attentionnelles sont réparties, distribuées dans un « ensemble limité » de stimuli intéressants de façon non proportionnelle.

Dans ce cas de figure, le concept représenté est celui de l’attention divisée parce qu’on répartie les ressources attentionnelles sur plusieurs stimuli. Cependant, rappelons que les ressources attentionnelles sont elles-mêmes limitées. Ainsi il sera d’autant plus dur de se concentrer qu’il y aura de stimuli. Le cerveau va augmenter sa charge mentale et à terme, selon l’individu va porter son attention sur l’un des signaux.

C’est ce que le malentendant éprouve lors de la réhabilitation auditive : cette incapacité (capacité perdue ou oubliée) temporaire à porter attention à 2 stimuli (surdité moyenne ancienne).

L’art de l’audioprothésiste est de pouvoir réhabituer à force de port de l’appareil, bien réglé, le patient à ségréguer 2 signaux et à recréer une attention sélective.

L’attention soutenue (le S soutenu, ça me coûte) :

Imaginez que vous soyez en train d’écouter l’oncle Fred raconter son année (ça fait depuis 9 mois que vous ne l’avez pas vu, imaginez tout ce qu’il a à raconter).

Vous êtes à l’aise dans un premier temps mais vous focaliser sur son discours malgré les notifications vibratoires de votre smartphone. Vous êtes en train de maintenir un état de concentration qui se traduira par de la fatigue. On parlera ainsi d’attention soutenue car vous maintenez un « niveau d’efficience élevé et stable sur une longue période de temps » (Seron et Liden, 2000).

La préparation à l’écoute du S et du B :

C’est le Jour du grand oral d’audioprothèse . Vous êtes dans les starting-block. Votre préparation et votre attention sont aux firmaments. On parle d’état d’alerte, il nous est possible de nous préparer en un peu moins d’une seconde à répondre aux moindres questions : notre attention est maximale.

Les chercheurs Van Zomeren & Brouvwer (1994) ont par ailleurs proposé un modèle attentionnel, qualifiant l’attention de pré-requis à toute autre fonction cognitive car elle en permettrait le bon fonctionnement :

Schéma de l'attention
Modèle de l’attention de Van Zomeren & Brouvwer (1994), inspiré du blog Akiani

“J’ai tellement l’habitude que je ne fais même plus attention.”

Lors des premiers de l’appareillage auditif, il est nécessaire de se concentrer, de faire un certain nombre d’efforts pour traiter la nouvelle information qui est portée à mon intention. Mais avec l’entraînement on devient de plus en plus expérimenté et capable de séparer l’information utile, de l’inutile.

Entendre et comprendre devient de plus en plus simple avec mon aide auditive, avec pour objectif d’entendre « inconsciemment » (moins d’effort d’écoute), sans intellectualiser l’effort.

Nos différents processus attentionnels sont classés en deux « modes » : On parle d’orientation : endogène et exogène. 

  • Lorsque nous choisissons de porter attention à un stimulus (top-down, exemple : écouter les besoins du patient malentendant), nous le faisons de manière active, contrôlée et subjective, il s’agit alors de l’orientation endogène (« qui provient du corps »)
  • Lorsqu’un stimulus attire notre attention (bottom-up, exemple : une fenêtre pop-up), nous portons attention à ce stimulus de manière passive, automatique et objective : c’est l’orientation exogène (« qui provient de l’extérieur »). Nous réagissons au stimulus qui vient à nous.

Vous l’aurez bien compris, prêter attention à un stimulus (de manière volontaire ou non) nécessite d’abord de le percevoir (ce que l’audioprothésiste va s’atteler à améliorer ou à compenser).

il est saillant de constater que Cherry utilise les tests dichotiques pour tester les capacités d’attention sélective. Si vous souhaitez la tester, n’hésitez pas à le faire temps, chez vos patients compliqués ou systématiquement et à évaluer leurs capacités tous les 1 ou 2 ans.

Les tests dans le bruit sont l’alpha et l’oméga :

  • pour évidemment tester la compréhension dans le bruit nouvellement acquise avec les aides auditives et l’évaluer dans le temps (je ne saurais trop vous conseiller l’usage du test VRB)
  • la fatigabilité dans le temps : entre la première liste d’un VRB et la 4ème bien souvent, chez les sujets fatigables, un affaissement des résultats est notable et donne des indices sur l’attention soutenue.

La passation de questionnaire sur l’effort d’écoute permet d’évaluer lors du bilan d’orientation prothétique l’état de l’attention portée et de l’estimer dans le temps.

A vous de jouer !

Les réf !

Blog Akiani https://blog.akiani.fr/fait-on-assez-attention-a-l-attention/

Masson, M. (2011). Rééducation des processus attentionnels : approche sur simulateur de conduite : application au traumatisme crânien et au vieillissement normal (Thèse de doctorat). Université Claude Bernard – Lyon I. PSYCHOLOGIE COGNITIVEUX RESEARCH

Alhanbali S, Dawes P, Millman RE, Munro KJ. Measures of Listening Effort Are Multidimensional. Ear Hear. 2019 Sep/Oct;40(5):1084-1097. doi: 10.1097/AUD.0000000000000697. PMID: 30747742; PMCID: PMC7664710.

Au passage, un lien ténu de l’effet cocktail party dans le traitement de l’information qui vaut le coup d’être vu 🙂